2023/14 Cette nuit qui m’a donné le jour, Frédéric Perrot. Milaet Barrault, 02/2022. 284 p. 19 € *****

Le père d'Etienne, atteint de la maladie de Charcot, vient de mourir. Pour sa veuve et son fils, c'est un bouleversement terrible. Henri et Marlène formaient un couple parfait depuis trente ans, solide, inaltérable. Etienne découvre dans l’ordinateur de son père deux éléments qui vont chambouler sa perception de ses parents : d’abord un historique des dialogues qu’Henri, incapable de parler, dictait avec les yeux au logiciel, qui lui révèle une vérité inattendue, et une lettre écrite par Henri, qu'il a dédiée à son fils. C’est un long récit où il raconte son secret : celui de sa rencontre avec Jean dans un bar, et une relation qui a duré des années sans que personne ne connaisse rien de l'identité ni de l'histoire de cet être aimé.

Henri a passé avec Jean en tout et pour tout 28 jours, sur les seize années qu’aura duré leur relation. C’est peu, évidemment, et peut-être une des raisons pour lesquelles Henri a choisi de ne pas quitter Marlène, qu’il aimait tout autant que Jean, quoique différemment. Ce roman réussit à sortir de la thématique rabattue de la liaison adultère en questionnant sur le polyamour : l’auteur se garde bien d’émettre un quelconque jugement sur la lâcheté d’Henri, préférant illustrer la possibilité d’aimer deux êtres, et de ne vouloir en perdre aucun. C’est aussi la leçon qu’en tirent Marlène et Etienne, qui ne considéreront pas Jean comme un ennemi. Ecrit par un scénariste, le récit fourmille de détails très visuels ; quand il est soumis à un stress, Henri est envahi par une foule de pensées qui viennent parasiter son esprit mais qui nous semblent si familières – ne pas avoir sorti le linge de la machine avant de partir, s’inquiéter de son apparence, après avoir surgi de son bain pour répondre au téléphone au milieu du salon. L’effet de réel se colore d’autodérision et de gravité, évitant avec adresse le pathos, à l’exception peut-être des derniers chapitres, quand Marlène prend la parole.

Un très beau roman donc, découvert dans un contexte particulier, celui d’un trajet en voiture pour rentrer de vacances au cours duquel une copilote insensible au mal des transports m’a lu le récit d’Henri pendant sept heures et sans faillir, sorte de livre audio vivant qui confirme qu’en voiture, prisonnier de l’habitacle, on a une qualité d’écoute qui n’existe pas dans la vie quotidienne. On devrait lire plus souvent quand on conduit.

 

Catégorie : Littérature française

couple / polyamour / secret / adultère / famille /


 

Posté le 29/03/2023 à 17:21