2022/82 Chef, Gautier Battistella. Grasset, 03/2022. 328 p. 22 € ****

Paul Renoir, chef triplement étoilé du restaurant gastronomique "Les promesses" à Annecy, reçoit la consécration suprême : il est élu meilleur cuisinier du monde. Une équipe de Netflix a filmé une longue interview du chef et s'apprête à faire un reportage sur sa brigade. Alors que toute l'équipe l'attend, Renoir n'arrive pas. Et pour cause : il vient de mettre fin à ses jours dans sa chambre avec son fusil de chasse. Le roman alterne entre deux récits : d'un côté, le parcours de Renoir, ses débuts auprès de sa grand-mère, ses classes auprès de Paul Bocuse, son succès progressif prix d'une exigence et d'un stress constants, au sein d'une compétition féroce où s'affrontent les égos démesurés ; en contrepoint, c'est le devenir du restaurant dont il est question, alors que l'entreprise était au bord de la faillite, et l'avenir de l'équipe, de son second, de sa cheffe pâtissière japonaise, et de sa femme.

Gautier Battistella nous entraîne dans un monde de la haute cuisine tout à fait plausible. C'est que, journaliste gastronomique au guide Michelin, il connait son affaire et les travers de cet univers où les élégances des dressages et l'harmonie des accords mets-vins cachent une réalité parfois bien peu reluisante. Brimades des apprentis, querelles au sein des brigades, ambition, jalousie, égocentrisme, conditions de travail insupportables, harcèlement, épuisement, collusion pour faire tomber un rival, sans parler de la pression médiatique et financière que subissent les chefs étoilés. C'est justement l'événement déclencheur de ce récit, avec le suicide de ce chef qui rappelle, de façon transparente, celui de Bernard Loiseau en 2003, ou celui de Benoît Violier, chef suisse, en 2016, ou enfin, plus récemment, celui du chef mosellan Marcel Keff.

A l'heure où l'on parle de texture et d'umami, d'une cuisine réinventée et écoresponsable, du respect du produit, de sans gluten ou sans lactose ou de produit d'origine animale ; à l'heure où un œuf mollet ne se sert que revisité et un millefeuille forcément déstructuré, la cuisine est devenue un jeu où tous les coups sont permis. Le menu gastronomique n'a plus la même saveur... Et si on allait au bistro manger un bourguignon et une île flottante ?

 

Catégorie : Littérature française

gastronomie / chef / cuisine / compétition / trahison /


Posté le 19/10/2022 à 17:14