2022/2 Hors gel, Emmanuelle Salasc. P.O.L, 08/2021. 406 p. 21 € ****

Eté 2056. Le monde, soumis aux aléas du changement climatique, est désormais régi par de nombreuses lois restrictives. Dans une vallée d’altitude, pendant l’été 2056, une sirène sonne : au-dessus du village, dans le ventre du glacier, une poche d’eau sous pression menace de se rompre. L'alerte réactive une peur ancestrale, qui chez Lucie se double d'une autre crainte. En effet, elle vient de recueillir sa sœur, qui avait disparu depuis 30 ans, et qui a la police et son ancien compagnon, un trafiquant de drogues, à ses trousses. Une sœur toxique sous une menace écologique...

La peur de Lucie est un des fils conducteurs de ce récit composé de va-et-vient entre la situation présente et l'évacuation programmée du village situé sous le glacier, et le passé de Lucie. Petit-à-petit, on découvre les liens qui unissent les sœurs jumelles issues d'une fécondation in vitro, et la personnalité de la cadette, Clémence, dont le prénom lui va si mal. Parce que Clémence est en colère, contre sa mère, qui ne voulait pas d'elle et n'a sans doute pas su, pas pu l'aimer comme elle l'aurait voulu – il y a d'ailleurs, vers la fin, une scène très révélatrice de l'abandon ressenti par la petite fille -, contre son père, qui préférait ses bêtes à ses enfants, contre sa sœur, Lucie la discrète, la gentille, contre elle-même enfin, au point de se prostituer et de se livrer à des trafics que sa sœur appelle du "matériel", au point de fuguer sans cesse, de se blesser. Clémence la mal aimée, à la personnalité borderline et qui souffre d'hyper sensibilité et d'autres pathologies psychiatriques dont on ne donne pas le nom, rend folle sa famille, tyrannise sa mère, effraie sa sœur qui subit sans révolte. Lucie est son exact opposé, capable d'une empathie qui confine à la soumission.

Quand les jumelles se retrouvent, à cinquante ans, le rapport de force n'a pas changé. Ce qui a changé en revanche, c'est le regard de Lucie sur Clémence : devenue femme, elle est capable de comprendre les raisons de sa colère. Mais pas de fuir son emprise. Le roman oscille donc entre les réflexions et les souvenirs de Lucie, et la description des règles draconiennes imposées par un gouvernement qui a mis en place une écologie radicale : interdiction d'autres funérailles que l'humusation, interdiction d'avoir des véhicules personnels sauf dérogation, suppression de l'avortement, interdiction de se promener sans balisage, alimentation végétarienne, retour d'une agriculture sans moteur ni engrais… Cette vision d'un futur écologique fait froid dans le dos mais parait tout à fait plausible. C'est à mon sens ce qui fait l'intérêt de ce roman qui met en lumière les dangers liés au réchauffement climatique et révèle une grande connaissance du milieu montagnard, plus que la question du rapport entre les deux sœurs qui m'a paru parfois traitée de façon répétitive et un peu longue. 

 

Catégorie : Littérature française

climat / écologie / haute montagne / jumelles / famille /


Posté le 13/01/2022 à 15:34