Tous les matins du monde, Pascal Quignard. Gallimard, 09/2020 (Folio). 117 p. 6,90 € ****

Monsieur de Sainte-Colombe, grand violiste du 17ème siècle et veuf inconsolable, se produit en concert avec ses deux filles, Madeleine et Toinette. Mais l'homme est un loup solitaire, qui refuse d'aller jouer à la Cour. Arrive un jour un jeune homme de 17 ans, Marin Marais, ancien chanteur à la Maîtrise du Roi et déterminé à perfectionner son jeu de viole de gambe auprès du maître. Lequel finit, non sans réticence, à le prendre pour élève. Le jeune homme commet l'imprudence de jouer devant el Roi et se fait congédier par Monsieur de Sainte Colombe, mais continue de revenir en secret visiter Madeleine dont il est amoureux, bénéficiant alors des conseils avisés de la jeune fille… Roman adapté en film par Alain Corneau en 1991, avec Gérard Depardieu, Jean-Pierre Marielle et Anne Brochet.

En à peine plus d'une centaine de pages, d'une plume délicate et ciselée, Pascal Quignard nous offre le récit de plusieurs vies : celle de Monsieur de Sainte Colombe, qui reçoit régulièrement les visites du fantôme de sa femme et compose pour elle ses plus beaux airs, tout en refusant jamais de les coucher sur le papier ; celle de Marin Marais, ambitieux – il va assurer la direction de l'orchestre royal aux côtés de Lully -, égoïste – ne dédaigne-t-il pas Madeline au profit de Toinette, aux formes bien plus appétissantes ? - ; celle enfin des deux sœurs, dont l'aînée va connaitre un destin bien tragique quand sa cadette se marie et vit, peut-on supposer, heureuse. Le récit se tisse selon un tempo très musical, largo quand feu Mme de Sainte Colombe vient visiter son mari, adagio ou moderato pendant les leçons, presto et un bond d'une dizaine d'années pour revenir au largo du veuf inconsolable. Et une tonalité mineure exprimant à chaque page la mélancolie qui doit sourdre des rives de la Bièvre, à côté de laquelle le maître a fait construire la cabane dans laquelle il compose tandis que Marin Marais s'installe en dessous pour l'écouter et tâcher de percer le secret de la musique. Une mélancolie que restitue la musique de Monsieur de Sainte Colombe, qui améliore l'instrument et sa technique de jeu pour donner à la viole de gambe toutes les intonations de l'âme humaine, et faire entendre la douleur, car c'est elle seule qui permet à la musique de n'être pas seulement instrument de divertissement mais un art véritable. "Quand je tire mon archet, c'est un petit morceau de mon cœur vivant que je déchire.", explique-t-il à son élève. Cela, il faudra des années à l'ambitieux Marin Marais pour le comprendre, jusqu'à la dernière leçon qu'il recevra durant laquelle, enfin, les larmes viennent.

 

Catégorie : Littérature française

17ème siècle / musique / ambition / don /



Posté le 21/03/2021 à 10:17