Oona et Salinger, Frédéric Beigbeder. Grasset, 09/2014. 331 p. ****

         New-York, été 1941. Jerry Salinger, écrivain débutant, rencontre Oona O'Neill, la fille du célèbre dramaturge. Leur histoire ne va durer que quelques mois, avant que Salinger parte sous les drapeaux tandis qu'Oona, décidée à devenir actrice, s'installe à Hollywood. Frédéric Beigbeder s'inspire de faits réels pour raconter leur rencontre et leur courte idylle, mais s'attache surtout au destin de ces deux personnages : Salinger découvre la barbarie des combats, endure le froid et la faim en Allemagne, et l'horreur des camps. Il rentrera de la guerre profondément marqué. Oona tombe amoureuse de Charlie Chaplin qu'elle va épouser et dont elle aura de nombreux enfants. Oona et Jerry ne se reverront qu'une seule fois, des années plus tard, mais l'amour du jeune homme pour la jeune fille issue de la haute société new-yorkaise va probablement influencer l'auteur de L'attrape-cœur. Beigbeder est un grand admirateur de Salinger, et ne s'en cache pas ; il ne craint d'ailleurs pas d'intégrer dans le fil de son récit des éléments autobiographiques qui donnent au roman un aspect de "work in progress" qu'on appréciera diversement.

Contrairement à ce que son titre peut suggérer, ce roman est moins une histoire d'amour qu'une biographie romancée des débuts du romancier nouvelliste. On sent que Beigbeder l'a écrite avec plaisir, s'autorisant parfois des métaphores un peu faciles : "Dans cette région, il y a des champs de marguerites si blancs qu'on dirait des pistes de ski" (p.29) ou "La notoriété et la fortune de leurs parents n'étaient que des cerises (empoisonnées) sur le gâteau de leurs corps menus" (p.53). On appréciera, ou pas. Mais il y a du talent dans la description de la guerre et de sa "désolation superbe", qui n'est pas sans rappeler l'ironie voltairienne et la "boucherie héroïque" de Candide ; il y a un engagement réel dans ce qu'écrit Beigbeder sur la condition des GI Noirs dans l'armée US, qui y subissaient encore une forte ségrégation et n'ont pas eu le droit de défiler dans Paris à la libération. Un roman biographique que l'auteur appelle "faction", proposition de traduction de l'anglicisme "non fiction novel" inventé par Truman Capote, dans lequel les vides biographiques, notamment les lettres que Salinger envoie à Oona, sont comblés avec succès. De quoi donner envie de (re)lire L'Attrape-cœur.

 

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Posté le 13/05/2020 à 09:22