2022/39 Porca miseria, Tonino Benacquista. Gallimard, 01/2022. 193 p. 17 € *****

Elena et Cesare arrivent en région parisienne dans les années 50 avec leurs enfants, sauf Tonino, qui naitra en France. "Porca miseria, porco Dio !" crie le père quand il a bu, tandis que la mère se désole de la "rouiiiina" dans laquelle elle se trouve depuis qu'elle a changé de classe sociale en épousant un Benacquista. L'auteur raconte son enfance au sein de cette famille où l'on parle un sabir fait du ciociaro, dialecte parlé dans la région du Latium et de mots italiens francisés, auquel ils mêlent des termes français ; il raconte son envie grandissante d'écrire, au point de transformer ses devoirs de sciences en rédactions diversement appréciées par ses professeurs. Pourtant, il ne parvient pas à lire, à l'exception des Chroniques martiennes et de Cyrano de Bergerac. Jusqu’à ce qu'un jour, l'école lui impose Une vie de Maupassant. "Je sens déjà poindre le devoir d'admiration, car tout ce que je vais lire sera vrai, juste, brillant, panthéonisé, incontestable. Une vie, c'est long. 448 pages. Une mort aurait été un meilleur titre." La lecture est pour le moins fastidieuse, le lecteur bien trop critique pour se laisser prendre par l'histoire. Et voici soudain que le miracle opère, qu'un rebondissement emmène l'adolescent tout juste là où Maupassant voulait le conduire. Ces quelques pages valent tous les Que sais-je et les corpus d'analyse, tandis que cette lecture va faire de Tonino un lecteur, et bientôt un auteur.

D'une plume alerte, drôle, tendre aussi, Benacquista nous livre un récit très personnel et sans fard dans lequel il narre l'alcoolisme de son père et son agoraphobie dont il a eu tant de mal à se défaire. On sent le plaisir que prend ce "fabricant de fictions" comme il se nomme à raconter ses souvenirs familiaux ou d'école, à réinventer la vie de ses parents en leur écrivant un autre destin. Et, aussi, à parler de l'art d'écrire. "La fiction, c'est du rêve fait main. […] C'est un stylo et un bloc-notes, une phrase qui en appelle une autre, à condition de tenir en place et de n'avoir rien de mieux à faire. Ecrire n'autorise aucune exhibition de l'égo ni ne procure de satisfaction immédiate ; on ne s'asperge pas de peinture, on ne casse les oreilles de personne  avec des fausses notes, on ne franchit pas de ligne d'arrivée sous les bravos". L'auteur de La Commedia des ratés ou de Saga, pour ne citer qu'eux, nous offre là un récit émouvant, et jubilatoire.

 

Catégorie : Littérature française

autofiction / famille / Italie / écriture / lecture / cinéma /

 

Posté le 09/05/2022 à 17:57