Règne animal, Jean-Baptiste Del Amo. Gallimard, 06/2016. 419 p. 21 € ****

         A la toute fin du 19ème siècle, dans le Sud-Ouest, Eléonore vit chichement avec ses parents dans la ferme familiale. Ils y élèvent notamment des cochons et se tuent au travail, sans grands égards pour leurs animaux destinés à la boucherie. Il n'y a pas de place pour les sentiments ou l'amour quand il s'agit simplement de survivre, les deux pieds dans la puanteur et la saleté. La première guerre mondiale rend les choses encore plus difficiles. Soixante ans plus tard, la porcherie existe toujours, transformée en entreprise moderne où les porcs vivent entassés dans des boxes, où les femelles allaitantes sont coincées dans des arceaux métalliques. Malgré la modernité, la pestilence, la crasse et la maltraitance animale sont toujours là.

Les mâles sont castrés sans aucune anesthésie, les animaux bourrés de pesticides et d'antibiotiques, on exécute sans état d'âme les prématurés ou les mal formés pour les jeter dans la fosse à purin. Et la merde qu'il faut nettoyer et qui revient sans cesse. Récit sordide où l'animal n'est qu'une denrée parmi d'autres, qu'on est libre d'exploiter tant qu'on le peut, l'important étant que ce soit rentable. Parce que les charges à payer excluent toute pitié. Ce roman âpre et sans concession renvoie, dans la violence qu'il raconte, aux vidéos d'abattage publiées par le collectif L214. On est loin des images bucoliques de jolis porcs folâtrant dans des enclos. On en prenait plus soin au début du siècle, où un gros verrat était synonyme de richesse. La rudesse des relations humaines de l'époque s'est cachée sous un vernis de sociabilité, qui ne fait pas illusion longtemps : la folie de Catherine, épouvantée par la réalité de ce qu'elle a découvert en épousant Serge, l'aîné des deux frères qui ont repris la ferme ; la trouble progressif de Joël, toujours le deuxième, toujours le mal aimé ; la colère sourde du père, impitoyable et tyrannique. Les hommes deviennent fous, contraints à surproduire dans un système qui les dépasse et les écrase. Jusqu'au drame.

 

Catégorie : Littérature française

agriculture / élevage intensif / maltraitance animale / famille /


Posté le 04/10/2021 à 18:19