Âme brisée, Akira Mizubayashi. Gallimard, 06/2019. 239 p. 19 € *****

Tokyo, 1938. La tension est grande entre la Chine et le Japon. Quatre musiciens, Yu, un Japonais, professeur d'anglais, et trois de ses étudiants chinois, se réunissent pour répéter des morceaux de musique classique occidentale. Un jour, alors qu'ils travaillent le premier mouvement d'un quatuor à cordes de Schubert, des soldats interrompent la répétition, piétinent le violon de Yu et embarquent les musiciens. Caché dans une armoire, Rei, le fils de Yu, âgé de 11 ans, assiste à la scène d'autant plus traumatisante qu'il ne reverra jamais son père. Un des soldats l'aperçoit mais ne le dénonce pas, et lui confie l'instrument brisé. 

Voilà pour l'allegro ma non troppo. L'andante se déroule une bonne cinquantaine d'années plus tard. Rei l'orphelin est devenu Jacques Maillard, luthier de son état. Toute sa vie s'est déroulée sous le signe de ce traumatisme dont il n'est jamais parvenu complètement à se défaire. Le hasard et la sagacité de sa compagne archetière l'amènent à renouer avec son passé japonais, et à retrouver quelques-uns des fantômes qui le hantent. Menueto : allegretto. Non qu'il s'agisse pour lui d'opérer une quelconque vengeance, bien au contraire : Jacques/Rei trouve petit à petit le moyen d'adoucir sa peine et de se reconstruire, patiemment, à, petites touches, tout comme il a pu, lentement, mais avec opiniâtreté, réparer le violon de son père. L'âme brisée, c'est celle du violon, cette petite pièce d'épicéa qui relie le fond et la table d'harmonie d'un instrument à cordes, une toute petite pièce de bois cependant essentielle puisqu'elle assure sa stabilité à l'instrument et qu'elle lui permet de résonner. C'est aussi, évidemment, celle de Jacques/Rei, qui va tout doucement se réparer. Evidemment, ce n'est pas pour rien qu'il a choisi le métier de luthier, ni qu'il aime une archetière. Deux métiers aussi complémentaire que le sont notre protagoniste et sa compagne Hélène. Avec une grande délicatesse, Akira Mizubayashi raconte ce personnage et son parcours de résilience ; il raconte aussi Schubert – on trouvera dans ce récit de très belles descriptions de moments musicaux. Raconter la musique, le ressenti à son écoute, c'est comme essayer de mettre des mots sur une odeur, un goût. Il y faut la finesse de l'amateur, au sens premier du terme.

 

Catégorie : Littérature française

musique / famille / solitude / traumatisme / résilience / violon / mémoire /


Posté le 14/02/2021 à 16:13