Une fille de passage, Cécile Balavoine. Mercure de France, 2020. 232 p. 19,50 € *****

         Il est des romans qui semblent écrits pour vous. Non pas que l'intrigue ressemble à votre vie, ou que l'un des personnages vous ressemble, mais ce qui est raconté, exposé – dans cette autofiction qui se livre sans fard – vous touche, par sa justesse, et par ce qu'elle résonne en vous. Pour ce qui me concerne, par ce rapport qu'entretient l'auteur avec ses personnages fictifs certes, mais inspirés de personnes réelles, et par sa façon de se mettre proprement en scène, dans une "expérience intime". Ainsi l'auteure évoque-t-elle son manque d'imagination, qu'elle compense par une sensibilité exacerbée, matière brute pour le romanesque : "C'est en tout cas à cette période que j'avais pris conscience du fait que je vivais le plus souvent sur le mode romanesque. Tel mouvement, tel instant, futile en apparence, prenait pour moi valeur de scène. Il m'arrivait d'ailleurs de provoquer volontairement certaines situations, afin de modifier le cours banal des jours. Ma rencontre avec Serge en était un exemple, ce qui n'atténuait pas l'élan que j'éprouvais pour lui." S'agit-il de bovarysme ? L'auteure a-t-elle lu trop de livres, ce qui la pousse à s'imaginer personnage de roman ? J'imagine que nombreux sont les grands lecteurs, amateurs de littérature, qui font de même – j'en suis, raison pour laquelle, entre autres, ce roman m'a touchée.

         Cécile Balavoine raconte sa rencontre à New-York, dans les années 90, avec le grand critique, le grand professeur Serge Doubrovsky, avec lequel elle va nouer une "amitié amoureuse". Quarante-cinq ans les séparent, mais l'homme reste homme, au point d'oser, un soir, l'embrasser au coin de la bouche. Ce qui choque la narratrice, qui cependant, inconsciemment, maintient dans leur relation une ambiguïté, à s'assoir sur ses genoux, à respirer son après-rasage, au point que, quelques mois plus tard, le "chair Serge" va la demander en mariage. Cécile Balavoine ne cache rien de ses désirs et de ses contradictions, de ses élans de tendresse envers cet homme qu'elle trouve trop vieux, qui a les dents jaunies, les mains tavelées, et dont elle se refuse à imagine le sexe sous le slip de bain sur la plage où il propose de l'emmener ; elle rend aussi un bel hommage à celui qui fut son mentor et avec lequel elle a entretenu, au fil des années, une amitié tissée de complicité et d'estime réciproques. En écrivant Une fille de passage, dont le titre fait écho au dernier opus de Doubrovsky, Un homme de passage, elle entre elle aussi dans l'autofiction où le maître devient le protagoniste de l'histoire écrite par son disciple. C'est courageux, ce travail de l'exposition de l'intime, et c'est aussi brillamment réussi.

 

Roman lu dans le cadre des "68 premières fois"

 

Catégorie : Littérature française

New-York / Paris / littérature / écrivain / amitié / amour / autofiction / âge /


Posté le 28/07/2020 à 17:14