Louvre, Josselin Guillois. Le Seuil, 08/2019. 249 p. 18 € *****

Automne 1939. La France est entrée en guerre contre l'Allemagne. Jacques Jaujard, directeur du musée du Louvre, décide de déménager les collections du musée pour les mettre à l'abri de la convoitise des Allemands. Trois femmes liées au directeur racontent via leurs journaux intimes cette migration clandestine : Marcelle, la femme de Jaujard, qui dans le même temps, à 39 ans, tente tout pour avoir un enfant ; Carmen, fille d'un couple employé au musée et filleule de Jaujard, qui attend impatiemment l'arrivée de sa puberté ; Jeanne Dubois, comédienne et ancienne maîtresse de Jaujard, qui vient de subir un avortement et se fait embaucher par les Allemands pour faire l'inventaire des œuvres restantes au Louvre, et de celles qu'ils récupèrent...

         Histoire de l'art et féminité, voilà les deux fils conducteurs de ce récit. Ces trois femmes sont toutes trois passionnées d'art : la première, à cause de son statut d'épouse de, a le privilège de fréquenter souvent les œuvres et en dehors de l'ouverture des lieux au public ; la deuxième, malgré son jeune âge, a grandi parmi tableaux, gravures et sculptures et leur témoigne une solide admiration ; la troisième enfin, qui a mis fin à sa carrière sur les planches, a une formation d'historienne de l'art. Mais toutes trois sont aussi et avant tout des femmes, avec leur désir amoureux, leur désir d'enfant, leur envie de devenir femme. Carmen en particulier, qui se désole que les femmes peintes par Watteau, Ingres, Manet, n'aient pas de poils, cherche désespérément si les siens vont pousser et ses règles finir par arriver. Il y a bien Courbet, et L'origine du monde, mais il n'est pas au Louvre, lui répond son parrain qu'elle a interrogé.  La peinture vue par les yeux d'une adolescente en pleine poussée hormonale est tout bonnement réjouissante. Marcelle, elle, a l'esprit plus pratique : "C'est très contrariant une peinture de grand format, mais quand son auteur est pauvre, ça vire tout nûment à l'emmerde.", écrit-elle en évoquant un tableau de Géricault, qui enduisait ses toiles de bitume, qui ne sèche jamais. L'œuvre va donc devoir être transportée telle quelle, quitte à se coincer dans les fils électriques. Josselin Guillois mêle avec brio amour de l'art et détails concrets, et restitue parfaitement l'ambiance d'une époque où on boit un bon coup avant de prendre le volant d'un camion qui transporte des œuvres inestimables. Un grand plaisir de lecture.

         p. 32 :

         - Gérard, mes phares marchent pas.

         - Les miens non plus.

         - Demande à M. le directeur d'en faire poser des nouveaux, c'est le musée qui facture, dit le patron.

         - Vous êtes cons.

         - Pourquoi ?

         - Je vous rappelle qu'avec le balck-out on n'a pas le droit d'allumer nos feux.

         - Avais oublié.

         - Je parie que tous phares éteints je roule plus vite que toi. 1000 francs ?

         - Tenu !

         - Tu porteras quoi toi ?

         - Des souliers cirés.

         - Dans le camion ducon !

         - Ah, des toiles d'Italie je crois."

         p. 119 : "Nous sommes en mission pour parrain, pour sauver les collections françaises, pour sauver la peinture, et c'est le printemps, le plus beau printemps du monde. Non ce que je veux dire c'est que pas une fleur nous salue, ni nous encourage, ou nous remercie, rien dans les fleurs ne s'alarme, parce qu'elles sont indifférentes au sort des peintures qui pourtant, souvent, les prennent comme modèles."

Catégorie : Littérature française

art / peinture / guerre / France / Allemagne / femme /

Posté le 26/01/2020 à 11:09