2023/4 Quand tu écouteras cette chanson, Lola Lafon. Stock, 08/2022 (Ma nuit au musée). 250 p. 19,50 € *****

Dans le cadre du dispositif "Ma nuit au musée" proposé par son éditeur, l'auteur décide de passer une nuit au musée de la maison d'Anne Franck à Amsterdam. Elle va donc rester dans l'annexe où la jeune fille a vécu avec toute sa famille pendant un peu plus de deux ans, avant d'être arrêtée et envoyée dans le camp de concentration de Bergen Belsen où elle mourra du typhus. Le roman s'intéresse au célèbre journal de la jeune fille, mais aussi au destin de cet écrit qui a été adapté en pièce de théâtre et en film. L'auteur s'interroge sur ce témoignage et sur les liens avec l'histoire de sa propre famille dont certains membres sont décédés à Auschwitz.

Lola Lafon raconte la genèse de ce projet, ses doutes, ses rencontres, puis fait part de ses réflexions au cours de cette nuit singulière où elle déambule dans l’Annexe et les bureaux de l’entreprise d’Otto Franck. Il ne reste rien dans l’appartement pillé par les nazis lors de l’arrestation de la famille, le 4 août 1944, à part des cartes et des affiches collées aux murs. Elle évoque ce que représente la figure d’Anne Franck, s’interroge sur l’écriture, diariste ou pas, raconte la façon dont son Journal a été accueilli, modifié – on a, apprend-on non sans un certain effarement, supprimé dans certaines parutions des passages politiquement incorrects, qu’il s’agisse de ses premiers émois sexuels ou de ses règles, ou de la dénonciation des exactions nazies -, on l’a adapté en une pièce de théâtre édulcorée, de peur de faire trop « dramatique ». A qui appartient Anne Franck ? écrit-elle au début d’un chapitre, tant le destin de la jeune fille, que son journal a permis de faire connaître, n’est plus seulement une jeune fille juive assassinée par les nazis, mais une source d’inspiration pour les artistes, les producteurs, et un objet d’étude pour les nombreuses recherches universitaires.

Au-delà du vibrant hommage rendu à Anne Franck et aux siens, Lola Lafon se questionne aussi sur ses propres origines, sa culture roumaine et juive, et raconte les membres de sa famille déportés.

Et puis, alors que la nuit s’achève et qu’elle parvient enfin à pénétrer dans la chambre d’Anne Franck, qu’elle a évitée jusqu’au dernier moment, elle narre l’histoire de ce lycéen vietnamien rencontré alors qu’elle était petite fille, scolarisé à Paris et rappelé par ses parents à Bucarest où son père était diplomate, avant d’être renvoyé avec sa famille au Cambodge en pleine guerre civile. En entrant dans la chambre de la jeune fille, elle prononce le nom du jeune homme qui lui avait écrit quelques lettres et qu’elle n’a jamais revu, sans nul doute victime de la violence des Khmers rouges. Cette histoire, qui vient achever un récit intimiste construit au fil des réflexions et de l’émoi de son auteur, est absolument bouleversante. Peut-être parce qu’il avait le même âge qu’Anne Franck, et que l’Histoire n’a pas retenu son nom.

 

Catégorie : Littérature française

seconde guerre mondiale / camp de concentration / nazisme / antisémitisme / témoignage / écrivain /

 

Posté le 15/03/2023 à 17:27