Suiza, Bénédicte Belpois. Gallimard, 01/2019. 252 p. 20 €. *****

Au départ, c'est un désir brut, bestial, qui demande à être assouvi immédiatement. L'objet du désir, c'est Suiza, une étrangère quasi muette, aux "grands yeux vides de chien un peu con", qui fait depuis son arrivée office de serveuse dans le bar du village et suscite la convoitise de tous les mâles, Tomas compris. Ce dernier, qui vient d'apprendre qu'il souffre d'un cancer des poumons, en crève d'envie, de posséder cette femme idiote et passive. Eros et Thanatos. C'est tout naturellement qu'il se l'approprie et l'installe chez lui. On pourrait s'attendre à ce que son propriétaire s'en lasse rapidement : il n'en est rien. Suiza est une véritable fée du logis, transformant le bouge où vit Tomas en une maison accueillante, et s'avère ni attardée ni muette. Voilà Tomas qui emmène la jeune femme au bord de la mer, et lui clame la nuit durant son amour tout neuf et si fort, se trouvant "beau et bon", se prenant "pour le fils spirituel de Garcia Lorca et de Rosalia de Castro". La jeune femme s'est endormie et bave sur sa chemise.

         A peine le lyrisme a-t-il atteint son sommet que la réalité tout prosaïque l'en fait redescendre. Ce passage est tout à fait représentatif du style de Bénédicte Belpois, qui mêle, de façon parfois brutale, la beauté des choses et la cruauté du monde. Tomas n'a pas su aimer sa première femme et se rattrape avec la seconde, dont on se demande si elle est consciente de déchaîner une telle passion, s'y prend parfois mal mais se dépense sans compter, dans le peu de temps qu'il lui reste à vivre. Au moins, pense-t-on, il aura connu l'amour avant de crever.

         Dans son urgence à vivre, Tomas est-il formidablement égoïste ? Le dénouement, qui laisse le roman dans un inachevé volontaire et à mon avis un peu décevant, peut le laisser croire. Il n'y a ni bons ni mauvais dans les personnages de ce roman, tout juste des victimes du sort – si la vie était juste, cela se saurait – qui se débrouillent comme ils peuvent. On peut reprocher aux hommes du village leurs réflexions machistes, leurs préjugés, leur bestialité ; ils expriment une réalité que la candeur de Suiza vient désarçonner et, malgré elle, dénoncer.

 

Roman lu dans le cadre des "68 premières fois"

 

Catégorie : Littérature française

Espagne / passion / maladie /

Posté le 10/05/2019 à 13:28